Commentaires d'articles et d'ouvrages

La psychiatrie au Liban

Une histoire et un regard, de Sami Richa

Maurice KHOURY


(Le Dr Sami Richa est psychiatre et chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France depuis 2010. Il est maître de conférences, chef de département de psychiatrie et directeur de recherches à la Faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il possède en outre un doctorat en bioéthique).


L’ouvrage de Sami Richa, La psychiatrie au Liban ; une histoire et un regard [1], retient par l’approche largement documentée et très personnelle de l’auteur – « Une certaine histoire… », « [son] histoire de la psychiatrie », écrit-il –, une approche humaniste, scientifique et sociale de la maladie mentale, articulée à la richesse des données historiques de la psychiatrie dans notre pays ; des premiers balbutiements jusqu’aux interrogations actuelles, scandées par une surprenante et très touchante collection d’archives qui donne à l’histoire sa matière vivante.

Sans doute très touchante pour celles et ceux qui peuvent y re-trouver des réalisations historiques, des moments, des bribes de discours, des souvenirs, des paroles qui continuent à faire écho, ainsi que des séquences de conversation et de réflexion avec certains des pionniers de la psychiatrie libanaise.

À ce propos, j’estime que S. Richa a bien réussi la tâche de veiller au retour de cette mémoire qui risque de se diluer dans l’actuel de certaines pratiques automatisées et faussement modernes, mais aussi de relier ce qui de l’histoire, pourrait enrichir notre manière actuelle de repenser la pratique et le « regard » sur la pratique, ce qu’il tente de développer dans la dernière partie de l’ouvrage.

Loin du sentimentalisme premier, qui en revanche a pu initier l’essence des réflexions qui suivent, je tenterai de relever quelques points inspirés par la lecture du livre, en y ajoutant des réflexions personnelles, voire des digressions à certains moments afin de mieux situer certains points de vue. Je le ferai également à ma manière, point de l’intérieur du cercle de la psychiatrie et des psychiatres mais en tant que psychologue clinicien, puis psychanalyste, ayant côtoyé quelques-uns des pionniers de la psychiatrie libanaise ainsi que d’autres psychiatres des générations suivantes.


Une approche humaniste et humanisante

De ce point de départ et dans l’ouvrage, j’ai été sensible aux réflexions et aux références auxquelles elles renvoient, du point de vue d’une certaine approche du psychisme humain et de ses constructions ; des variantes de la sexualité dite normale jusqu’aux maladies mentales les plus avérées, constructions qui s’affirment dans leur différence, seul moyen de bord pour signifier son individualité, son autonomie, pour un être humain qui risque sa « normalité » face aux conditions familiales et collectives ; mais également, face à un équilibre psychique qui soudain, bascule. Dans ce sens, l’auteur s’essaie à une sensibilisation générale face à l’intolérance, la discrimination, avec un regard particulier sur le droit et la dignité du patient, la signification des troubles psychiques et de la maladie mentale, non réductible à un raté de l’équilibre bio-chimique, ni à un bagage atavique et génétiquement transmissible.

Nous voyons là se profiler, puis se consolider sous la plume de S. Richa, toute l’influence des qualités humaines et relationnelles qui ont caractérisé les premiers hommes ayant abordé et fréquenté la maladie mentale au Liban ; de T. Waldmeier, entouré des premiers médecins étrangers et libanais qui ont mis en place les fondations du premier hôpital universitaire de psychiatrie du Moyen-Orient (Asfourié), jusqu’aux grands noms de la psychiatrie libanaise, des travailleurs sociaux et des psychologues qui ont œuvré à la structuration et au fonctionnement du second hôpital de psychiatrie, l’Hôpital psychiatrique de la Croix. Cet hôpital a été fondé en 1919 par un moine capucin libanais, le père Jacques Haddad, aux riches qualités philanthropes et créatives. Dans le chapitre sur la schizophrénie, Richa évoque les propriétés et les capacités calmantes de cet homme, face aux « angoisses floues et profondément douloureuses, qu’on appelle paranoïdes, des patients qu’il abritait […] avant l’arrivée au Liban des premiers cachets de Largactil amenés de la France par feu le Dr Édouard Azouri » (p. 240).

Certes, l’on pourrait faire couler beaucoup d’encre en faisant le panégyrique des grands noms qui ont instauré les premiers espaces originels et qui ont accueilli la maladie mentale au Liban. S. Richa en a pris la responsabilité éthique et historique : poser la première pierre de l’édifice en prenant bien soin d’en préciser le caractère de témoignage et de regard personnels, avec le courage d’une tentative d’exhaustivité concernant les noms des pionniers et des psychiatres qui ont suivi, jusqu’à nos jours, avec leurs apports spécifiques à la psychiatrie libanaise. À partir de ces prémices, nous lui devons aussi une description du développement et du destin de la psychiatrie dans le pays, aussi bien dans son versant thérapeutique (services de psychiatrie dans des hôpitaux généraux) que dans son versant de regroupement savant (Société Libanaise de Psychiatrie), de formation universitaire et de recherche scientifique.


La dialectique productive

Toujours est-il qu’à partir de ces premières réalisations, et comme partout ailleurs, les interrogations, questionnements, remaniements et controverses commencent à se poser et à se dialectiser dans les premiers cercles institutionnels, cliniques et scientifiques (voir les extraits de l’article remarquable d’Édouard Azouri sur la question de l’antipsychiatrie et de l’utilisation abusive des neuroleptiques, que Richa qualifie d’ « un des plus beaux écrits » de l’auteur). Ainsi, force est de constater que les productions originales et les innovations majeures naissent dans la conflictualité productive et les questionnements potentiellement créateurs de nouveau, à partir des prémices.

Faudrait-il peut-être se questionner sur le destin des premières expériences et des premiers essais des pionniers – leurs réalisations, leurs fourvoiements, les remises en question de leur pratique – comme des tentatives très riches d’enseignement pour la pratique psychiatrique actuelle dans notre pays. Que reste-t-il de ces interrogations originelles restées ouvertes, dans l’actualité de la pratique psychiatrique au Liban ?
Cette incitation à laisser ouvertes des interrogations – sans réponse nécessaire dans l’immédiat – propices à continuer la réflexion dans l’approche pluridimensionnelle des troubles psychiques, a sans doute prévalu chez un certain nombre de spécialistes. Mais par ailleurs et de toute évidence, la pratique psychiatrique, notamment institutionnelle, n’a pas toujours été au beau fixe : conflits, résistance au changement, difficulté à contenir les projections quotidiennes et continues des patients hospitalisés, éclosions des projections au sein de l’équipe soignante… spécialistes frappés d’ostracisme.

Dans son article Psychiatrie et antipsychiatrie, faut-il brûler les psychiatres ?, Édouard Azouri, conscient de la dimension socio-politique subversive de l’antipsychiatrie, mouvement fondé à Londres dans les années 60 par A. Esterson, R. Laing et D. Cooper, s’en inspire pour maintenir ouvert son sens dialectique, ses attitudes antinomiques et néanmoins sincères, comme l’ « un des signes du dilemme constant […] que vit, que devrait vivre le psychiatre à chaque instant de son existence » (p. 142).
« Je ne suis pas antipsychiatre, du moins pas tout à fait… », écrit-il. Et à l’auteur de dénoncer les diagnostics abusifs, basés sur « des signes inconstants, versatiles, retrouvés différemment ici et là, et se [réclamant] d’une classification variant d’une école à l’autre, voire d’un psychiatre à l’autre… » (p. 150).

Évoquant l’avènement de la « camisole chimique » qui vient supplanter la « camisole de force », É. Azouri dénonce cependant la rage et la fureur de guérir, présente chez les praticiens, en citant P.-C. Racamier ainsi que R. Diatkine et P. Paumelle. Quant à C. Koupernik, il « dénonce avec sa virulence coutumière ceux qui, dans " leur rage à détruire la maladie, mutilent l’homme qui en est le support et le lieu" » (p. 149). Plus loin, É. Azouri continue :

« Que de fois suis-je resté sourd aux demandes thérapeutiques. Que de fois ai-je supplié mes confrères d’être moins prodigues en médicaments. Que de fois ai-je expliqué qu’il faut laisser le malade s’exprimer – qu’il faut le laisser vivre sa maladie ; (je ne savais pas encore dire "entreprendre son voyage", sa "métanoia") qu’il faut le laisser hurler, insulter, souiller, briser, déambuler sans but ni fin ou rester des heures et des jours à ne rien faire, ravi par d’ineffables visions… J’ai des peintures, des dessins de schizophrènes qui ont fait croire à des Miro, des Klee, des Rousseau, œuvres de ces illettrés qui n’avaient jamais tenu de plumes ou de pinceaux avant leur maladie. » (p. 152)

 

 

 

 


 

Mais qu’on ne s’y méprenne pas : ces affirmations ne sont anti-traitements chimiques que dans la mesure où les psychotropes seraient prescrits à tire-larigot, voire utilisés sans réflexion suffisante quant à leur inscription dans la dynamique psychique du patient et dans un projet thérapeutique général, considérant une étiopathogénie multifactorielle ainsi qu’une prise en charge pluridisciplinaire. D’où l’accent mis par S. Richa, dans son ouvrage, sur l’idée de l’ambigüité étiologique, de l’incertitude thérapeutique univoque et de l’importance de la pluridisciplinarité dans la compréhension et le traitement de la maladie mentale.

Dans une optique voisine et dans la multiplicité des sources citées dans l’ouvrage, je renvoie particulièrement à la publication des extraits de la Leçon inaugurale de H. Ayoub (1965) et du renvoi à celle de É. Azouri. Dans ces extraits, se faufile curieusement l’approche freudienne dans la compréhension et la conception du psychisme. Approche que d’aucuns, modernistes en excès, forts de grilles diagnostiques à remplir, de nomenclatures et de manuels statistiques tous genres meublant les bibliothèques, qualifient de désuète.


Psychiatrie et psychanalyse

Ces références à Freud et à la psychanalyse, dans les deux Leçons inaugurales de la chaire universitaire peuvent-elles n’être justifiées que par une inscription dans l’aire du temps du milieu et de la fin des années 60 ? Ces pionniers y ont-ils vraiment cru ? Leur pratique en a-t-elle été imprégnée ? Qu’en a-t-il été transmis ? En tout cas ils y ont fait mention.

Curieusement, les références à l’antipsychiatrie et à la théorie freudienne se laissent glisser dans l’ouvrage de Richa, sous la plume des pionniers de la psychiatrie, faisant cependant long feu chez la majorité des descendants et chez les praticiens actuellement en exercice. Dans une copie scannée à peine lisible des extraits de la leçon inaugurale de H. Ayoub intitulée Seul le fantastique a des chances d’être vrai (1965), nous pouvons lire un chapitre sur La révolution de Freud, au cours duquel il évoque les « analyses brillantes », « l’intelligence géniale » et la « passion sans mesure » du fondateur de la psychanalyse, ainsi qu’une description assez fidèle de sa conception de l’appareil psychique et de son fonctionnement économique : les pulsions, les différentes voies qu’elles empruntent ainsi que leurs destins variés, dont celui de la sublimation et de l’organisation du symptôme (psychique ou somatique) comme gratification secrète dans l’économie du psychisme. Ayoub affirme par ailleurs que Freud « soutint un combat sans merci contre les plus puissants des siècles passés et présent, [et qu’il] fut tellement secoué, insulté, repoussé de toutes part ». Il continue, avant de clore le chapitre, en avançant que « la prodigieuse productivité de Freud, le rayonnement mérité de sa personnalité et de son œuvre [ont] ébranlé, peut-être plus que toutes les révolutions, les bases tranquilles et la bonne conscience sur lesquelles reposait l’organisation des collectivités depuis l’aube des civilisations. Ses conséquences sont loin de s’être éteintes… »

En 1968, Édouard Azouri évoque à son tour dans sa propre leçon inaugurale le génie freudien et son apport à la compréhension de la médecine psychosomatique en montrant que « le symptôme, le signe clinique avait un sens » […], que le comportement humain est déterminé en grande partie par des motivations inconscientes » et que le déplacement des intentions et des significations s’opère dans les fonctions du corps par les moyens du langage des organes. Il continue en citant les pionniers de la médecine psychosomatique et en affirmant que « la médecine psychosomatique […] n’aurait jamais existé sans la théorie psychanalytique de l’inconscient ». Notons par ailleurs l’expression de reconnaissance de É. Azouri à son analyste et président de l’association américaine de psychanalyse, Yves Hendrick, et à des analystes qu’il avait fréquenté dans sa formation à Paris, notamment Diatkine, Smirnov et Lebovici.


Psychiatrie et Psychanalyse – le Liban, une exception

Il semble naturel que la psychanalyse, qui est née en Europe et s’est ensuite développée dans le vieux continent et peu après, aux États-Unis et dans d’autres continents, ait d’abord noué avec la médecine, la neurologie et la psychiatrie des liens intimes. Freud, lui-même neurologue, avait d’abord essayé d’articuler ses premières découvertes du fonctionnement psychique, aux données scientifiques et neurologiques de son époque (S. Freud, 1895). Tentative avortée mais néanmoins considérée historiquement précieuse comme point de départ des découvertes et des remaniements ultérieurs de la théorie et la clinique psychanalytiques. Je n’en ferais pas l’historique mais me contenterais de noter l’intérêt des premiers médecins de l’époque pour l’approche freudienne de l’appareil psychique et après eux, les générations suivantes qui se sont intéressées aux enjeux dynamiques et économiques de la psyché et aux méthodes de traitement susceptibles d’agir en profondeur et dans la durée, sur les mouvements psychiques internes.

Ce lien intime entre médecine et psychanalyse a été, selon les époques, sujet de controverse. Naturel au tout début et dans les écrits des deux premières décennies, Freud s’adressait constamment aux médecins qui commençaient à pratiquer la psychanalyse, (S. Freud, 1912, 1913). Avec l’expansion de la doctrine vers le nouveau continent, ainsi que l’affaire Reik qui l’a porté à développer ses idées sur l’analyse laïque (S. Freud, 1926), il en a fait une méthode d’investigation du psychisme et une méthode thérapeutique indépendantes de la formation médicale. Quelle que soit la formation de base – ou presque –, la pratique de la psychanalyse suppose une formation à part. Qu’on soit psychiatre ou psychologue, la formation tripartite (psychanalyse personnelle, conduite de psychanalyses supervisées et enseignement théorique et clinique) constituait désormais le parcours qu’un futur psychanalyste doit effectuer pour devenir praticien. Actuellement en Europe, une partie des psychanalystes (un tiers environ) possède un diplôme de psychiatrie. La curiosité pour la psychanalyse, et en dépit des orientations diverses et des champs multiples qui s’ouvrent à un psychiatre qui vient de terminer sa formation psychiatrique, est loin de déchoir malgré un relatif déclin pendant les deux dernières décennies. Un pourcentage assez satisfaisant de psychiatres s’oriente vers la psychanalyse en dépit de la croissance des recherches en neurosciences et des multiples thérapies qui en découlent.

Au Liban, un lien ambivalent s’est instauré entre les deux domaines dès le début. Tantôt amicale et de richesse mutuelle (je me rappelle d’une très riche rencontre avec Serge Leclaire, invité à l’Hôpital psychiatrique de la Croix au milieu des années 80), tantôt plus distante, la collaboration entre psychiatres et psychanalystes a néanmoins et heureusement été maintenue et ce, jusqu’à nos jours ; en particulier sur le plan clinique, avec une collaboration assez étroite pour des patients nécessitant des prises en charge complémentaires. Ce qui a été en revanche moins répandu, ce sont les discussions, les tables rondes et les enrichissements mutuels à dimension plus scientifique qui pourraient faire avancer la réflexion sur les entrecroisements des deux types de traitement ; à titre d’exemple, la place des psychotropes au décours d’une analyse… leur effet, leurs implications chimiques et symboliques ainsi que leur inscription dans l’imaginaire de l’analysant durant le processus analytique. Je renvoie ici à un article de Vassilis Kapsambelis portant sur les travaux psychanalytiques qui ont exploré les effets des neuroleptiques à partir de variables comme l’hypothèse économique-énergétique de la théorie psychanalytique, les dimensions transférentielle et contre-transférentielle au sein de la relation médecin-patient ou patient-équipe soignante ainsi que l’impact sur la réorganisation du moi et les réinvestissements narcissiques (V. Kapsambelis, 2002, Formulations psychanalytiques des effets des neuroleptiques).

Deux autres références intéressantes sur ce même sujet : l’ouvrage de D. Widlöcher (psychiatre-psychanalyste et président de l’Association psychanalytique internationale de 2001 à 2005), Les psychotropes, une manière de penser le psychisme ? (D. Widlöcher, 1990) et le numéro de la Revue française de psychanalyse qui porte le titre Les psychotropes sur le divan [2].

Le Liban, une exception, oui, peut-être, en raison du peu d’intérêt général des psychiatres pour la psychanalyse mais surtout, de l’infime pourcentage de psychiatres-psychanalystes par rapport à d’autres pays. Si deux des trois fondateurs de la première société de psychanalyse en 1980 étaient psychiatres (soit dit humoristiquement, 66.66 % l’étaient), la perspective de transmettre la « peste » freudienne [3] à d’autres collègues psychiatres a cependant fait long feu, en attendant des jours meilleurs.


Questions pour demain

Dans les derniers chapitres de son ouvrage, S. Richa se penche sur les différentes problématiques et pathologies rencontrées dans la pratique, avec un fil rouge qui le traverse : un cri d’alarme pour une sensibilisation sociale, familiale, et qui s’adresse aussi aux instances gouvernementales susceptibles de contribuer à la mise en place de structures diverses de prise en charge. Avant d’entamer cette deuxième partie de l’ouvrage, il y résume les problèmes fondamentaux touchant l’absence de politique nationale de santé mentale, l’état embryonnaire de la recherche en psychiatrie ainsi que l’accès aux soins.
Dénonçant les préjugés liés à la maladie mentale et « déconfusionnant » la tendance collective à amalgamer maladie mentale et faiblesse psychique, l’auteur s’attelle à une mise au point succincte, ciblée, avec des données épidémiologiques, des problèmes majeurs émanant de sa pratique et de ses questionnements. On y retrouve les interrogations quotidiennes, la sensibilité, les tourments et le désir constant de recherche, mais aussi le réalisme d’un praticien refusant de reculer devant les moyens difficiles mais disponibles pour faire avancer la réflexion ainsi que les voies possibles de traitement pour une « maladie mentale […] qui fascine » (p. 223).

Se suivent alors des chapitres traitant des questions actuelles posées par la schizophrénie, l’homosexualité [4], le handicap mental et l’autisme infantile, avant d’aborder la question dialectiquement intéressante de l’éthique en médecine et de la pensée éthique en psychiatrie. Vient ensuite le rapport entre psychiatrie et religion (très actuel compte tenu de la pluralité confessionnelle au Liban et de la confusion faite entre religion et méthodes thérapeutiques), avant de continuer sur la question de la toxicomanie et enfin, du rapport des médecins à la psychiatrie (regard suspicieux que portent les médecins à l’égard des psychiatres mais néanmoins, l’existence de médecins « fin[s] psychologue[s] sans être psychiatre[s] », comme le montre très finement Richa dans la publication d’une lettre adressée par un confrère médecin) et de la question des psychotropes et de la désinformation dont il font l’objet.

Pour conclure, nous regrettons cependant la frêle préface qui aurait gagné à mieux donner la mesure d’un tel ouvrage, et de l’absence d’une bibliographie à la fin de l’entreprise. Notons toutefois le bel épilogue de la fin, l’humilité devant l’ « enseignement » des maîtres, des professionnels de toutes catégories… et des patients ; ce qui nous fait penser à une idée de Moustafa Safouan, psychanalyste d’origine égyptienne, qui dans l’un de ses ouvrages sur la formation des psychanalystes, dit que si les supervisions, dans les débuts de la formation du candidat psychanalyste, ont leur nécessité, ce n’est pas en tant qu’elles apprennent à l’analyste comment conduire une analyse, mais en tant « qu’il y apprend à apprendre ». Je suppose que tel serait le cas, toutes proportions gardées sur la nature du « cursus » officiel, de la formation en psychiatrie.


Notes

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1. Richa S. (2015), La psychiatrie au Liban ; une histoire et un regard, Essai, Ed. Dergham, 318 p.

2. Les psychotropes sur le divan (2002), RFP, LXVI, n°2.

3. Dans son périple vers les États-Unis d’Amérique en 1919 et encore sur le paquebot qui l’y emmenait, Freud aurait proféré à Jung qui l’accompagnait, la célèbre phrase suivante : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste. »

4. Sur l’acceptation des différences, ici, l’homosexualité, il est certes louable, voire nécessaire, comme l’affirme Richa, de sensibiliser les enfants à la variété des comportements sexuels et leur expliquer les différences rencontrées dans la sexualité humaine. Cette responsabilité ne devrait cependant pas désavouer – dans les variétés qu’offre les expressions de l’homosexualité – les riches tentatives de comprendre sa généalogie dans l’organisation de la personnalité et les destins possibles de la bisexualité psychique et de ses transformations. Affirmer que l’homosexualité n’est ni une maladie, ni un choix libre – Freud avait dès 1905 développé la question de la bisexualité psychique chez tout être humain (S. Freud, 1905) – ne devrait pas nous empêcher de la saisir sous son aspect dynamique et transformationnel, comme d’autres manifestations psychiques ou comportementales susceptibles de changement, selon les enjeux du désir et de la liberté humaine. .


Références bibliographiques

Freud S. (1895), Esquisse pour une psychologie scientifique, La naissance de la psychanalyse, lettres à W. Fliess, notes et plans 1887-1902, Paris, PUF, 1956.

Freud S. (1905), Trois Essais sur la théorie sexuelle, trad. fr. P. Koeppel, Paris, Gallimard, 1987 ; OCF.P, VI, 2006 ; GW, V.

Freud S. (1912), Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique, La technique psychanalytique, trad. fr. A. Berman, Paris, PUF, 1953 ; OCF.P, XI, 1998 ; GW, VIII.

Freud S. (1913), Le début du traitement, La technique psychanalytique, trad. fr. A. Berman ; Paris, PUF, 1981 ; OCF.P, XII, 2005 ; GW, X.

Freud S. (1926), La question de l’analyse profane, trad. fr. J. Altounian, Paris, Gallimard; OCF.P, XVIII, 1994 ; GW, XIV.

Kapsambelis Vassilis, Formulations psychanalytiques des effets des neuroleptiques, Revue française de psychanalyse, 2/2002 (Vol. 66), p. 447-464.

Widlöcher D. (1990), Les psychotropes, une manière de penser le psychisme ?, Collection, les empêcheurs de penser en rond, 62 p.